Misbehaving et DD : Aversion à la perte - Théorie de la valeur (2/2)

Vous pouvez retrouver ici l’introduction de cette série d’articles et une rapide présentation de l'économie comportementale.

Présentation du concept

Dans un premier article consacré à la théorie de la valeur, nous avons vu que l’utilité d’un gain ou d’une perte variait différemment selon la grandeur du point de référence auquel elle se rattachait. Plus le point de référence est une grandeur élevée plus la différence juste perceptible augmente.

Dans ce second article, nous ajouterons que l’utilité ne varie pas au même rythme selon la direction dans laquelle on se déplace depuis le point de référence. C’est-à-dire qu’il s’agisse d’un gain ou d’une perte.

Reproduction Figure 3 - Fonction de la valeur
Ce graphique montre l'utilité comme fonction d'un changement de richesse et non d'un niveau de richesse, un changement radical par rapport à la théorie économique conventionnelle.

L’aversion à la perte est un phénomène que l’on rencontre dans de nombreuses situations de transaction. C’est un facteur primordial dans l’effet de dotation poussant Rosett à conserver des bouteilles de vin qu’il pourrait vendre à un prix supérieur à ce qu’il payerait lui-même pour sa bouteille. On peut observer le phénomène sur les marchés financiers notamment, où les agents ont tendance à rapidement vendre les “gagnants” et à conserver les “perdants” (Odean, 1998)1. Sur le marché immobilier (Genovese and Mayor, 2001)2, ou encore sur les parcours de golf (Pope and Schweitzer, 2011)3.

Un des effets intéressants de l’aversion à la perte est que les agents sont averses aux risques sur les gains et ont une propension à prendre des risques plus élevés sur les pertes. Pour illustrer ce phénomène, voici une expérience simple menée sur deux groupes de sujets :

La raison qui explique pousse les gens à prendre des risques pour les pertes et la même qui les pousse à être conservateur pour les gains. Dans le premier problème, le gain supplémentaire de 100$ à 200$ a moins d’utilité que celui initial de 0 à 100$.

Dans le second problème, l’utilité perdue entre 100$ et 200$ est inférieure à celle perdue entre 0 et 100$, expliquant que les répondants sont prêts à prendre des risques pour ne rien perdre.

Conséquences pour le développement durable

L’aversion à la perte nous interroge sur les mécanismes les plus efficaces pour encourager un changement de comportement. Une conséquence immédiate de cet effet est qu’une taxe fera plus mal qu’un gain. Suggérant que pour une efficacité maximale la taxe est l’outil à privilégier. Bien sûr, de nombreux autres paramètres sont à considérer et je ne parle ici en en prenant en compte que l’aversion à la perte. Ainsi il a été montré qu’un faible coût pour l’utilisation de sacs plastiques jetables permettait de réduire significativement leur utilisation tandis qu’une récompense du même montant n’avait pas d’effet (Homonoff, 2018)4.
Le débat entre taxe et subvention est constant dans le débat sur les mesures politiques à prendre pour la conservation de l’environnement. Il y a une forte tension entre le coût et l’efficacité de la mesure et son acceptabilité.
On peut prendre l’exemple d’une commune qui voudrait encourager les habitants à réduire leurs déchets. Pour les encourager, elle dispose des économies permises par la réduction des déchets (enfouissement / recyclage / incinération). Elle dispose de deux solutions : distribuer les économies aux habitants les plus vertueux, ou réduire les impôts pour tous et taxer les moins vertueux… Quelle route emprunter ? Quelle est la plus efficace, la plus acceptable, laquelle permettra de remporter la prochaine élection ?*

Une autre conséquence dont nous avons déjà exploré les causes et les possibles solutions dans l’article sur l’effet de dotation est le moindre développement des marchés secondaires.

*Le dialogue est ici évidemment la chose à privilégier systématiquement, mais il est important de savoir que les effets ne seront pas les mêmes selon la solution retenue.

  1. Odean, T., 1998. Are investors reluctant to realize their losses? The Journal of finance 53, 1775–1798. ↩︎

  2. Genesove, D., Mayer, C., 2001. Loss Aversion and Seller Behavior: Evidence from the Housing Market. Q J Econ 116, 1233–1260. https://doi.org/10.1162/003355301753265561 ↩︎

  3. Pope, D.G., Schweitzer, M.E., 2011. Is Tiger Woods Loss Averse? Persistent Bias in the Face of Experience, Competition, and High Stakes. American Economic Review 101, 129–157. https://doi.org/10.1257/aer.101.1.129 ↩︎

  4. Homonoff, T.A., 2018. Can Small Incentives Have Large Effects? The Impact of Taxes versus Bonuses on Disposable Bag Use. American Economic Journal: Economic Policy 10, 177–210. https://doi.org/10.1257/pol.20150261 ↩︎

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Alexis Konarski
Consultant Développement Durable

Passionné et préoccupé par les enjeux du développement durable je partage sur ce site quelques articles sur le sujet.

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