L'équation de Kaya (1/2) : comprendre l'évolution des émissions de CO2 en France

Il est utile, afin de comprendre la signification d’une baisse des émissions de carbone pour nos modèles socio-économiques, de lier ces émissions à des paramètres de ce modèle socio-économique. C’est la raison d’être de l’équation de Kaya (du nom du professeur japonais à son origine). Cette équation est construite de telle manière que les émissions de carbone sont égales au produit de la population, de la production par habitant, de l’intensité en énergie de cette production et de la teneur en carbone de cette énergie.

Je consacre deux articles de ce blog aux enseignements que nous pouvons tirer de l’équation de Kaya à l’échelle française.

Dans ce premier article, nous nous intéressons aux causes des émissions de carbone. On examine ce qui dans notre modèle économique, représenté par les quatre facteurs à droite de l’équation, a causé les variations des émissions de carbone. Cela nous permet d’avoir des ordres de grandeur sur les évolutions des facteurs et de mieux anticiper la manière dont ils peuvent varier dans le futur.

Dans le second billet, nous allons nous projeter. Or, en se donnant des objectifs climatiques, la France renverse la logique : on planifie les émissions de carbone avec des conséquences sur les facteurs de l’équation, donc sur notre modèle socio-économique.

Pour commencer, jetons un coup d’œil à l’évolution des émissions de dioxyde de carbone en France.

Source : Citepa

À partir de ce graphique, on peut construire 4 périodes. Une première d’augmentation rapide de 1960 à 1973, puis une de stagnation, avec deux pics en 1973 et 1979, suivie d’une décroissance d’abord rapide de 1979 à 1988 puis lente jusqu’à aujourd’hui.

Variation sur l’ensemble de la période

On observe que la France est passée par un pic d’émissions de CO2 en 1973. À partir de cette période, on observe un découplement de la croissance de la richesse par habitant et des émissions de CO2. Cela signifie que les émissions de dioxyde de carbone nationales ont cessé d’augmenter avec la croissance.

Taux de variation annuels moyen par période

Facteur 1960-1973 1973-1979 1979-1988 1988-2018
Emissions de CO2 (Mt) 4.71% -0.20% -3.52% -0.65%
Population 1.02% 0.53% 0.54% 0.50%
PIB par habitant 4.59% 2.56% 1.58% 1.19%
Intensité énergétique (Mtoe/US$) 0.82% -1.97% -1.04% -1.18%
Intensité carbone (CO2/toe) -1.70% -1.26% -4.53% -1.15%

Le tableau et le graphique ci-dessus présentent le taux de croissance annuel moyen des différents éléments de l’équation de Kaya sur chacune des périodes définies.

La première période, celle d’augmentation rapide des émissions, se caractérise par une croissance rapide de la richesse nationale (au sens du PIB donc la population multipliée par le PIB par habitant), c’est la seconde moitié des trente glorieuses qui s’achève avec le premier choc pétrolier en 1973. Dès lors, la croissance de la population et du PIB par habitant est divisée par deux, et par la suite le taux de croissance de l’économie décline de période en période.

À partir de 1973, l’intensité énergétique de la production décroit. Avec le choc pétrolier, la France connait la fin de son expansion énergétique et une période d’augmentation du coût de l’énergie. Cela va contraindre la croissance, mais également porter davantage l’attention des industriels aux économies possibles avec une plus grande efficacité énergétique.

Si l’intensité carbone de l’énergie a diminué sur chacune des quatre périodes, la période 1979-1988 se distingue avec une diminution annuelle frôlant les 5%. On peut attribuer cette baisse rapide à la nucléarisation de la production d’électricité française.

Un autre découpage : par décennie

On peut également regarder l’évolution des facteurs par décennie. On remarque que la baisse des émissions s’est de nouveau accélérée dans la décennie actuelle.

Indicateur Années 60 Années 70 Années 80 Années 90 Années 2000 Années 2010
Emissions de CO2 (Mt) 4.59% 1.62% -2.69% 0.50% -1.02% -2.20%
Population 1.13% 0.62% 0.55% 0.42% 0.67% 0.37%
PIB par habitant 4.52% 3.22% 1.87% 1.48% 0.50% 0.90%
Intensité énergétique (Mtoe/US$) 0.03% -1.28% -0.87% -0.69% -1.02% -2.11%
Intensité carbone (CO2/toe) -1.07% -0.89% -4.16% -0.70% -1.16% -1.35%

La croissance découplée des émissions ?

L’élément le plus frappant sur ces données, c’est qu’il semblerait que la France a découplé sa croissance économique de la croissance de ses émissions. Depuis 1973, le PIB a été multiplié par 2,26 pendant que les émissions ont décru de 40%. Sur le graphique ci-dessous on retrouve nos quatre périodes dans l’évolution du couple croissance, émissions de carbone.

Alors oui, en France le PIB a continué de croitre, plutôt lentement, avec dans le même temps une baisse des émissions. Mais la France n’est pas un pays autonome, et avec une balance commerciale déficitaire et des importations plus carbonées que nos exportations notre empreinte écologique ne suit pas le même rythme. Ainsi, il faut avoir en tête que “résoudre” l’équation de Kaya à l’échelle de la France ne prend en compte que les émissions produites sur le territoire national (et uniquement le carbone et pas l’ensemble des gaz à effet de serre). Le défi est donc moindre qu’une réduction de l’empreinte carbone du pays. Ce que j’entends par résoudre l’équation de Kaya c’est respecter l’engagement de neutralité carbone en 2050. C’est le sujet du prochain article.

Sources :

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Alexis Konarski
Consultant Développement Durable

Passionné et préoccupé par les enjeux du développement durable je partage sur ce site quelques articles sur le sujet.

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